Chers lecteurs, vous excuserez mon manque d’assiduité au cours des derniers mois, un projet personnel grugea toute mon énergie et mon temps. C’est avec grand plaisir que je vous reviens avec un texte que je mijote depuis belle lurette!
Dans mon entrée précédente, je vous faisais part de mon enthousiasme sans cesse grandissant
pour les indie games, ces jeux sans
contraintes « corporatives » qui offrent l’opportunité d’avoir le
champ libre sur l’intégralité de leur conception. Ils sont rare les jeux qui
ont su épouser la vision utopiste du potentiel vidéoludique indépendant que
j’aborde ainsi que ce fameux « retour aux sources » lié à un plaisir
naïf, qui, avec l’âge, s’est perdu. Braid
est l’un de ses bijoux.
Il est difficile
d’introduire le jeu conçu par Jonathan Blow. On pourrait débuter par mentionner
le fait qu’il est l’un des premiers titres, au sein de la vague actuelle des indie games, à avoir eu un énorme succès
commercial ainsi que critique, prouvant que le développement indépendant des
jeux vidéo peut être considéré comme une option plus que viable et
envisageable. Ce que je viens de mentionner est palpable et quantifiable, et
cela ne m’intéresse pas pour mon billet (le sujet fut déjà couvert par moi et
par d’autres). La force de Braid, le
différenciant de la majorité des titres que j’ai eu l’occasion d’explorer,
repose dans la conception même du jeu qui soutient la vision unique du monde vidéoludique
que possède le concepteur.
La prémisse de Braid est volontairement simple :
nous incarnons Tim, un jeune homme qui doit délivrer une princesse, sa
princesse. Cette introduction classique et, à première vue banale renvoie aux
premiers balbutiements du jeu vidéo de consommation (Mario quelqu’un?). Cette référence avouée entame le processus de
distanciation entre le jeu et son joueur et pose la trame de fond qui nous
bercera tout au long du parcours vidéoludique : nous quittons la structure
linéaire à l’objectif évident d’un platformer
classique pour découvrir un jeu introspectif et analytique autant sur le plan
narratif que sur la jouabilité. Tim n’est pas une victime innocente frappée par
la malchance divine, la disparation de sa princesse fut causée en grande partie
par lui-même, par ses défauts et par les erreurs qu’il a commises au sein de
leur passé commun. Pour Tim, la résolution à ce problème se trouve dans la
revue de ce passé, son objectif sera donc de « revenir en arrière » pour
éclaircir ses erreurs, s’améliorer et se parfaire afin d’être digne de la
princesse. C’est donc dans cette résolution du personnage que réside la clef de
la jouabilité de Braid; ce retour en
arrière que veut vivre notre protagoniste sera traduit concrètement par un jeu
de plateforme ou le parcours est motivé par une obligation de
« rembobiner» nos actions afin de pouvoir récolter des morceaux de
casse-têtes qui reconstituerons les moments clefs de ce fameux passé commun, et
ainsi, accéder à d’autres niveaux. Impossible de mourir, car nous revenons en arrière
et recommençons. Tout comme Tim, nous reculons (le temps) afin de pouvoir
avancer. Ce vidéo saura mieux résumer le concept de la jouabilité que je peux
le faire :
C’est donc par
le biais de l’introspection que Blow nous introduit ses nouveaux éléments de
jouabilité : le temps qui est influencé par nos déplacements, l’apparition
d’un spectre de nos actions passé, etc.
Ces types de manipulations seront introduits par le biais de textes
naviguant entre le poétique et l’explicatif. Toutes ces démarches instaurent
une ambiance ludique plutôt singulière et extrêmement riche en interprétation
jusqu’au point culminant où nous nous retrouvons à côté de la princesse qui se
libère de son capteur et qui nous aidera à parcourir un chemin semé d’obstacles
afin de pouvoir finalement aller à sa rencontre. On croirait que l’histoire se
conclut ainsi, mais il en est tout autre. Après un moment, nous devons repasser
au travers du même chemin, mais en sens inverse. Les opérations que faisait la
princesse pour nous aider, en sens inverse, nous nuisent et ont pour but de
nous éliminer jusqu’à ce qu’elle retrouve son « capteur »; un preux
chevalier, ce qui nous pousse à réinterpréter la signification de ce parcours.
Tim n’est pas un sauveur, mais le monstre duquel la princesse tente de se
libérer.
Mon bagage de
culture artistique en général et cinématographique en particulier influence
grandement ma vision des jeux vidéo et le potentiel que j’y décèle. J’ai donc
tendance à suranalyser la réussite ou
l’échec d’un titre auquel j’ai joué et c’est pourquoi mes prochains propos
pourraient paraitre too much pour
bien des gens. Malgré cela, j’ai toujours considéré la conception des jeux
vidéo comme une forme d’expression unique car elle offre l’interaction directe
avec son spectateur et, cet élément clé m’a toujours pousser à fantasmer une
certaine forme d’art qui pouvait résider au sein de ce médium qui ne vit, de
façon objective, que ses premiers instants. J’ose affirmer que Braid a atteint cette forme d’art. Le
titre de Blow possède autant de consistance et de qualités analytiques qu’un
film ou qu’une œuvre littéraire, en se détachant des simples liens causaux que
les titres AAA peuvent posséder (je tire sur les méchants et j’avance dans le
tableau et l’histoire implantée dans le jeu), pour offrir une profondeur et
plusieurs sens aux actions que l’on effectue dans le jeu. Dans Braid, le lien de jouabilité directe est
inévitable (en jouant sur la temporalité du défilement de l’environnement, on
peut atteindre nos objectifs). S’ensuit le lien lié à l’histoire connue (Tim
doit revivre certains moments passés pour apprendre de ses erreurs afin de
retrouver sa princesse). Par la suite, plusieurs autres niveaux
d’interprétation peuvent s’intégrer au cadre de Braid; il s’agit d’un anti-jeu,
renouvelant le simple platformer (un des premiers types de jeu) en y ajoutant la
notion de retour en arrière. La rétrospection de Tim devient l’introspection de
Blow sur son médium de prédilection, y insérant, par le fait même, une impression
douce amère de nostalgie critique envers son médium : retrouver le plaisir
de découvrir un jeu « original » tout en mettant en doute l’aspect
héroïque de notre protagoniste (il devient un monstre en changeant de
perspective), ce qui a des répercussions sur tous les protagonistes des jeux vidéo
classiques en général (notamment du machisme lié à la libération d’une
princesse). Certains ont même fait un lien entre la quête du jeu et la création
de la bombe atomique (pour cette analyse, je vous invite à aller le découvrir
par vous-même, je ne veux pas m’embarquer là-dedans). Dans tous les cas, en
franchissant la dernière porte du dernier tableau, le jeu nous ramène à son
préambule du départ car, au-delà de lier la forme et le fond de façon
confondante, Braid s’identifie à
l’art plutôt qu’au divertissement car, à l’instar de ses confrères littéraires,
picturaux ou cinématographiques, il impose plusieurs lectures afin d’analyser
et de mieux apprécier son contenu riche et ses interprétations variés.
Que nous soyons
fins connaisseurs de jeux vidéo ou non, il est facile de se rendre compte
qu’avec Braid, nous sommes ailleurs.
Blow ne s’est pas contenté de faire un jeu vidéo indépendant qu'en y proposant une
jouabilité originale (ce qui reste intéressant en temps normal également). Il a
voulu créer, au sein de son médium, une œuvre qui se rapproche de l’art par sa
jouabilité qui représente conceptuellement et concrètement la quête de son
personnage, par sa distanciation consciente face à son passé vidéoludique et
par un contenu interprétatif riche, permettant d’apprécier le jeu sous
plusieurs niveaux. Braid nous permet
enfin de quitter la simple histoire bancale que nous offrent les titres plus
commerciaux, pour s’approcher de la métaphore vidéoludique, de l’allégorie
interactive; il s’agit là d’une percée de maturité au sein d’un médium qui
porte encore ses couches.
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